Malgré le handicap Gaëlle Drewnowski “voit en tout les jolies choses”

Article Aleteia – publié le 04/06/24

Quand on rencontre Gaëlle Drewnowski, la première chose que l’on remarque est son imposant  fauteuil électrique dû à son handicap physique. Mais à peine les premiers mots échangés, son regard clair, sa pensée vive et profonde, sa façon de toujours voir les belles choses de la vie, font que, très vite, on mesure la chance de rencontrer une telle personnalité, toujours avide d’apprendre, de rencontrer et d’avancer. Âgée de 41 ans, Gaëlle est née à Bordeaux, et issue d’une fratrie de triplés. À la suite d’une erreur médicale à la naissance de ces trois enfants prématurés, elle souffre d’une paralysie cérébrale avec une rétraction musculaire des membres inférieurs, comme ses deux frères. “Cela signifie que mes jambes sont en permanence rétractées, et que chaque mouvement de marche est compliqué”, explique-t-elle simplement, utilisant un fauteuil roulant électrique  ou des béquilles pour se déplacer sur de petits trajets. Un handicap de naissance qui lui demandera donc de s’adapter dans le milieu scolaire “à l’époque pas du tout ouvert au handicap”, et où elle ne sera acceptée qu’à l’âge de 6 ans. Cela ne l’empêche pas de suivre de brillantes études, elle la grande lectrice toujours avide d’apprendre, et de passer des diplômes de droit privé et pénal pour devenir juriste.

Diplômée en éthique et patiente experte

Son handicap lui demande beaucoup de temps, “beaucoup de soins, d’exercices, d’organisation, et parfois même de lourdes opérations”, qui la font ainsi arriver à Lyon il y a une dizaine d’années, où elle doit tout recommencer, après son opération; “trouver un appartement, un boulot, des amis, etc.”. Mais ce n’est pas ce qui l’arrête, et Gaëlle refait son réseau, s’installe dans un appartement adapté et, parallèlement à son nouveau poste à temps plein comme juriste dans une entreprise d’assurance médicale, trouve encore le moyen de se former, sur ses jours de congés, en passant un nouveau diplôme universitaire de droit éthique, tout en devenant patiente experte. Elle accompagne désormais des professionnels de santé et des personnes porteuses de handicap lourd. “Mon parcours de vie fait que les sujets éthiques, notamment la prise en charge de la douleur, m’interpellent particulièrement”. Et c’est par cette affirmation que Gaëlle explique ce qui la pousse aujourd’hui à s’engager pour s’opposer à la loi sur “l’aide à mourir” en discussion actuellement au Parlement. C’est d’ailleurs par le biais de rencontres avec des professionnels auditionnés, notamment Claire Fourcade, présidente de la Sfap, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, qu’à son tour, Gaelle a participé à une table ronde ouverte au public, dans les locaux de l’Assemblée Nationale le 16 mai dernier, où elle a pu raconter son expérience et exprimer son point de vue. “J’ai compris en m’exprimant, à travers l’attention qu’on me portait, que ma parole était légitime et que je voulais qu’on puisse écouter les personnes comme moi, avant de décider de cette future loi qui nous heurte et nous inquiète”. 

La mort seule façon de ne plus souffrir ?

Mais comment la pudique Gaëlle a-t-elle sauté le pas de la médiatisation et de l’engagement public ? “Une maman que j’accompagne, et qui a une fille lourdement handicapée  m’ a dit “ vivement que cette loi passe, comme ça je pourrais choisir que ma fille ne souffre plus”, confie-t-elle. “Cette phrase a beaucoup résonné en moi. Pourquoi la souffrance de cette maman, et bien sûr celle de sa fille, ne sont-elles pas mieux prises en charge ? Pourquoi cette maman ne trouve-t-elle pas d’aide au quotidien pour qu’elle en soit à avoir un tel raisonnement, où la mort serait la seule façon de ne plus souffrir ?”

Gaëlle insiste, elle ne nie pas les souffrances et est loin de tenir un discours doloriste, elle qui est d’ailleurs la première concernée. “Pour moi aussi, il y a des jours où la vie est moins drôle”, ajoute-t-elle pudiquement, avant d’analyser: “La maladie grave, le handicap lourd ont un “effet miroir” pour les personnes qui les côtoient. Ils renvoient l’autre à sa propre finitude, à ses propres angoisses. La solution la plus acceptable pour faire face paraît de répondre en donnant la mort, plutôt que de s’interroger sur ses propres angoisses et sa capacité à y faire face”, souligne-t-elle. “On parle ainsi “d’aide à mourir”, comme si c’était par gentillesse, par bienveillance, par souci d’aider l’autre. Mais que fait-on de la dignité des personnes ?”, se demande encore Gaëlle. “Quand une personne handicapée dit qu’elle n’en peut plus, c’est surtout qu’elle a besoin d’une écoute active, c’est un travail de longue haleine. Qui lui proposera alors, en guise d’écoute, de mourir ? En tant que personne handicapée, je souhaite que ma vie aille à son terme, que je sois bien accompagnée, et que moi aussi, je connaisse une fin naturelle”. Et pour Gaëlle, c’est là qu’intervient la responsabilité de la société toute entière, à travers la solidarité nationale. 

Voir les jolies choses 

De sa longue expérience comme patiente et comme accompagnante, Gaëlle le sait, ce qu’il faut c’est développer la prise en charge de la douleur, et améliorer la qualité de vie. “Les centres spécialisés en prise en charge de la douleur ont des délais d’attente de plusieurs mois avant d’obtenir une première consultation et démarrer un suivi spécialisé. Avec ce texte de loi, il sera plus rapide de demander à mourir que d’accéder à un suivi spécialisé, multi-disciplinaire”, soulève-t-elle encore, avec sa voix volontaire mais “jamais en colère”. Car Gaëlle, qui n’a pourtant pas un quotidien simple, préfère toujours voir les jolies choses dans une journée, que les galères ou les difficultés. “Cela parait bateau à dire comme ça, mais on n’a qu’une vie. C’est ma vie, c’est comme ça, ma vie est faite de rendez-vous médicaux, d’opérations, de douleurs, de planifications perpétuelles car tout me prend plus de temps, c’est vrai, mais c’est ma vie. Et dans ma vie, il y a aussi des joies, des rencontres, des amis, des sorties et des bons livres”. Il y a la foi aussi, qui occupe une place centrale dans sa vie. Mais Gaëlle préfère rester discrète sur le sujet car elle veut vraiment “donner des arguments vécus et concrets pour expliquer le danger de cette loi à venir, indépendamment de considérations religieuses ou philosophiques”. 

Alors Gaelle écrit “Une note de quarante pages”, adressée à sa députée, des tribunes pour exprimer son inquiétude face à ce projet de loi. “J’attends que les journaux acceptent leurs publications”, indique-t-elle, et insiste : “La vocation d’un soignant ne peut être de donner la mort.” “Ce texte renvoie aux personnes malades ou handicapées qu’elles sont un fardeau pour la société et qu’il serait préférable qu’elles n’existent pas !”, souligne-t-elle encore. Et de raconter encore cette anecdote, “une femme me présente son enfant handicapé en me disant “il ne peut rien faire”, et moi de lui répondre “si, il est là, il sourit”. Pourquoi doit-on “faire” et pourquoi “être” ne suffit pas ?” relève-t-elle ainsi.  Au delà de ces réflexions éthiques, Gaëlle a aussi des propositions et des idées concrètes : développer l’accès aux soins, former les soignants à la prise en charge de la douleur et mieux inclure toutes les personnes dans la société, “du début de la vie jusqu’à leur dernier souffle, en leur montrant qu’en dépit de leur état, maladie ou incapacité à travailler, elles ne sont pas isolées mais font pleinement partie de cette société. Cela suppose aussi de s’occuper de leur entourage”.

Un carnet de gratitude 

Étonnante Gaëlle qui en plus de tous ces écrits et travaux de recherches, n’oublie jamais de remplir chaque soir son carnet de gratitude où elle note les jolies choses de sa journée. “Ce que je préfère, c’est le relire, je vois alors le chemin parcouru malgré les difficultés.” Gaëlle a ainsi passé près de deux ans à l’hôpital à la suite d’une opération en 2019, suivie de rééducation prévue de longue date, mais c’était sans compter sur le covid “qui a tout bloqué net”, la laissant enfermée à l’hôpital sans visite et sans date de sortie pendant de très longs mois. Loin de s’en plaindre, elle trouve encore le moyen d’en tirer profit ! “Ce qui a été très bénéfique pour moi paradoxalement, c’est le boom de la visioconférence”, raconte-t-elle ainsi. “Je rêvais de passer mon master en éducation thérapeutique, mais j’avais été recalée car c’était à Paris et obligatoirement en présentiel deux jours par semaine à l’époque. Avec le covid, ce master est passé en visioconférence, et j’ai pu le suivre depuis mon lit d’hôpital et le valider”, conclut-t-elle sans aucune forfanterie. Jamais une plainte, que des projets à venir, des engagements à mener et le partage de ses petits émerveillements quotidiens. Quand on vous dit que Gaëlle fait partie des rencontres qui enrichissent, ce ne sont pas que des mots !

Bérengère de Portzamparc – Aleteia

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