Article Vatican News – 14/05/2024
«Même si nous ne pouvons pas toujours guérir, nous pouvons et devons toujours soigner». À la veille d’un voyage au Canada à l’occasion d’un symposium international sur les soins palliatifs, le président de l’Académie pontificale pour la Vie appelle à accompagner avec proximité, affection et amour les personnes en fin de vie. Il sait l’importance des lois sans lesquelles «on court le risque que la barbarie prenne le dessus», mais souhaite que cette thématique cesse d’être polluée par des idéologies.
La question n’est pas «l’euthanasie oui, l’euthanasie non», parce que, dit comme ça, le sujet est «trop sec, trop froid». Le problème, au contraire, «est de savoir comment accompagner, comment rendre ce passage le moins douloureux possible et, en même temps, le moins désespéré». À quelques jours d’un déplacement au Canada à l’invitation des évêques locaux pour participer à un symposium sur les soins palliatifs à Toronto, Mgr Vincenzo Paglia répond aux questions de Vatican News sur la fin de vie. Le président de l’Académie pontificale pour la Vie insiste sur l’importance de la dimension personnelle, «chaque mort est différente d’une autre et doit donc être accompagnée de manière personnelle», dit-il,regrettant que certaines lois tendent à rabaisser ou à homogénéiser cette problématique délicate.
Entretien avec Mgr Paglia, président de l’Académie pontificale pour la Vie.
Mgr Vincenzo Paglia, comment vous préparez-vous à ce symposium sur les soins palliatifs au Canada?
La visite au Canada représente pour moi un moment particulier, précisément parce que, dans une culture comme la culture occidentale, le thème des dernières étapes de la vie doit acquérir une pertinence qu’il n’a pas encore aujourd’hui. Il existe le risque de produire une législation qui, au fond, veut exclure le problème par des lois frileuses, qui tendent à unifier des cas très différents, des lois qui peuvent ressembler un peu à un «lavage de mains». Je crois au contraire qu’il s’agit d’une question que nous devons aborder avec beaucoup de prudence. Le terme «soins palliatifs» doit être très bien expliqué. Si je pouvais utiliser un autre terme, je dirais «accompagnement», qui dédramatise, par exemple, la solitude, qui n’est pas une douleur physique, mais une sorte de tragédie intérieure qu’il faut soigner.
Accompagner les personnes en fin de vie, mais comment?
Avec proximité, affection, intérêt et amour. Le thème de la douleur physique peut être dramatique, nous devons la combattre, et, à mon avis, nous devrions exhorter ici les gouvernements à approfondir les aspects scientifiques et de recherche de ces traitements qui accompagnent la fin de la vie. Nous devrions inciter les Églises à redécouvrir l’importance de l’accompagnement pour obtenir une «bonne mort» qui est, pour nous croyants, le passage à la vie avec Jésus. Nous devons aussi aider toutes les autres religions ou les hommes de bonne volonté, car au moment ultime, chacun de nous a besoin de ressentir physiquement une proximité. Ici, en ce sens, il me semble important que la réflexion ne soit pas seulement «euthanasie oui, euthanasie non»: c’est trop sec, trop froid. Le problème est de savoir comment accompagner, comment rendre cette transition la moins douloureuse possible et, en même temps, la moins désespérée. C’est pourquoi un grand défi nous attend concernant le sens même de la vie.
C’est une question qui nécessite également d’envisager l’avenir, de tracer une voie à suivre…
Oui, c’est aussi un discours important pour les générations à venir. Réfléchir à la fin de vie, c’est d’abord comprendre ceci: mais est-ce vraiment la fin de la vie? La philosophie quantique nous dit que non, car nous restons de l’énergie. La Révélation chrétienne nous dit que la mort est un passage, que ce n’est pas la fin, on pourrait dire la fin de cette vie terrestre d’une certaine manière, mais nous savons, depuis le Credo, qu’après la mort, la vie humaine continue, même si elle est ressuscitée. Et malheureusement cette dimension n’est plus guère soulignée dans les sermons, alors que nous devrions la redécouvrir. C’est pourquoi je crois que cette réflexion autour des soins palliatifs ou de la fin de vie est un thème immense, qui concerne toutes les composantes de la société, du médical au scientifique et au pédagogique, de l’humaniste au philosophique, au théologique et au psychologique.
Le Pape François a déclaré que nous devons accompagner les personnes dans la dernière ligne droite de leur vie, mais pas provoquer la mort ou faciliter le suicide assisté. À quoi faisait-il allusion?
Il y a quelques années, l’Académie pontificale pour la Vie a publié, à l’issue d’un congrès international, une étude portant précisément sur ce sujet et décrivant en dix points la signification des soins palliatifs. La vie est un don, et c’est un don que Dieu nous confie. La vie est donc aussi la nôtre, oui, mais elle n’est pas seulement la nôtre. Le Seigneur nous a donné la vie avec un grand don, celui de la multiplier pour nous-mêmes et pour les autres. En effet, si nous la multiplions pour les autres, nous la multiplierons aussi pour nous-mêmes. C’est pourquoi le Pape François nous exhorte également à comprendre que le fait de s’accompagner les uns les autres dans ce dernier moment enrichit tout le monde. Même si nous ne pouvons pas guérir, nous pouvons toujours soigner, nous devons toujours soigner. Et même quand on n’a plus les moyens d’empêcher la mort de trouver son chemin, car la mort vient pour tous, il y a la personne. Il n’y a plus rien à faire, mais on peut se tenir la main. Il y a à être présent pour montrer que l’amour est plus fort que la douleur de la mort, que l’amitié est plus forte même que la mort qui veut rompre les liens. Ce qui s’est passé sur le Calvaire peut, d’une certaine manière, en être un exemple.
Dans quel sens?
Oui, c’est aussi un discours important pour les générations à venir. Réfléchir à la fin de vie, Le fait que Jésus ait eu sa mère et son jeune disciple à ses côtés l’a certainement réconforté, et cette mère et ce jeune disciple se sont entendus dire par le mourant: «Elle est ta mère et il est ton fils». C’est l’amour qui continue. C’est là que commence la Résurrection, car la mort, qui voulait faire taire Jésus, était en fait une mort qui commençait à générer une nouvelle solidarité, une nouvelle fraternité. En effet, la proximité s’expérimente dès le début de la vie: lorsqu’une mère met au monde un enfant, il y a ceux qui l’accueillent, ceux qui coupent le cordon ombilical, ceux qui le soignent et l’élèvent ensemble. Ainsi, comme c’est ensemble que nous naissons, c’est ensemble que nous devons mourir.
Comment l’Église et l’Académie pontificale pour la vie en particulier, peuvent-elles aborder de manière constructive les points de vue les plus critiques sur ces questions?
Nous devons continuer à réfléchir et à parler à tout le monde, car ces perspectives sont des perspectives humanistes. La foi les éclaire, mais la raison les comprend. C’est pourquoi la tâche de l’Église est d’essayer de désidéologiser ces thèmes, qui sont souvent pollués précisément par des idéologies et non par un accompagnement réel. Il suffit d’un peu de raison pour comprendre que chaque mort est différente de l’autre et doit donc être accompagnée de manière personnelle. Chacun a donc besoin de ses propres mots, de ses propres gestes, de ses propres présences. Et c’est cela qu’il faut faire comprendre. Bien sûr, il y a ensuite des millions de lois, car s’il n’y a pas de lois, le risque est que la barbarie prenne le dessus. Tout cela est indispensable, peut-être, mais une culture qui unit croyants et non-croyants l’es plus encore, parce que naître et mourir n’est pas une affaire de catholiques, c’est l’affaire de tous. C’est pourquoi je crois que l’une des tâches de l’Académie pontificale pour la Vie est précisément celle-ci: rendre crédible, rendre raison de cet avantage supplémentaire que nous pouvons avoir sur des questions qui, en réalité, concernent tout le monde, en partant précisément de la dimension raisonnable.
Entretien réalisé par Christopher Wells – Cité du Vatican