Cécile Gandon : « Il y a, dans l’expérience du handicap, une certaine forme de radicalité »

Dans un article de CathoBel, Sophie Delhalle nous présente « Corps fragile, cœur vivant », de Cécile Gandon qui nous partage son expérience du handicap. Une Véritable ode à la fragilité… 
Cécile Gandon, « Corps fragile, cœur vivant. Témoignage », Editions Emmanuel, 2022, 158 p.

Il fait indéniablement partie de ces livres dont la lecture qui touche et transforme. Dans « Corps fragile, cœur vivant », Cécile Gandon partage des bribes de son quotidien de « personne handicapée ». Avec beaucoup de poésie, de fraicheur et une pointe d’humour, la jeune femme nous propose une véritable ode à la fragilité.

« Cher lecteur, […] j’ai rassemblé des expériences de vie qui me semblaient pouvoir te parler, te rejoindre là où tu en es. » Dans ce livre-témoignage, paru aux éditions Emmanuel, Cécile Gandon nous partage son expérience de la fragilité pour faire écho à la nôtre. Avec sa plume si fraiche et directe, elle nous propose de l’accompagner dans un « voyage en humanité ».

« La fragilité met à nu »

Atteinte d’un handicap moteur léger depuis sa naissance, Cécile a du subir de nombreuses opérations et hospitalisations, elle en a gardé une difficulté pour marcher, des douleurs, de la fatigue. Les bons jours, elle s’aide d’une canne pour marcher, les mauvais, elle se résigne à utiliser son fauteuil roulant.

Cet état de vie « nous fait vivre de manière plus radicale ce que tout un chacun est amené à expérimenter un jour : l’apprivoisement de ses limites, la conscience d’avoir besoin des autres, la découverte que, qu’elle que soit l’épreuve traversée, la joie, même bien cachée, est toujours disponible » écrit-elle. Car oui, ce qui ressort avant tout de son écriture, c’est cette joie, cette vie qui bouillonne en elle. Si son corps est fragile, son cœur, lui, est bien vivant.

 » … j’ai eu très tôt conscience que, d’une certaine façon, mon handicap m’obligerait à la vérité. Ma fragilité étant visible, elle met à nu la réalité de mon être profond. Je ne tromperai jamais personne sur celle que je suis vraiment: une personne vulnérable, qui a besoin des autres. »

Le handicap prépare une terre fertile pour la rencontre

Fragilité, vulnérabilité, dépendance, joie. Et aussi radicalité. « Il y a dans l’expérience du handicap une certaine forme de radicalité. Dans ce dévoilement de soi-même, pas de demi-mesure. Je ne suis pas à moitié handicapée. »

Mais pour la jeune auteure, cette impossibilité du mensonge est une chance. Elle autorise de vivre les rencontres dans la vérité, la personne avec qui Cécile converse se sent bizarrement autorisée à se dire vulnérable. De telle sorte que peuvent se nouer des relations profondes où chacun sait qu’il n’est pas besoin de paraitre pour être amis. On comprend dès lors que le handicap, la fragilité, préparent une terre fertile pour la rencontre.

Pour autant, toutes les rencontres ne sont pas heureuses. Elles sont aussi parfois violentes. Sans le vouloir. Comme cet homme dans le bus qui, en voulant prendre sa défense contre un autre usager agressif, lui « balance » son handicap à la figure. « Il y a ainsi des jours où je me sens volcan. Des jours de lave. Ce sont des jours blessés, mais si vivants » confie la jeune femme dont on ne peut qu’admirer l’incroyable faculté de relecture et de résilience.

Le soin, chemin vers la guérison

S’il fallait donner une seule raison de lire « Corps fragile, coeur vivant », ce serait incontestablement pour son chapitre consacré au soin, où l’auteure nous livre la plus belle et la plus juste définition qui soit : « Selon moi, le soin est indissociable de l’affection […]. On ne peut vraiment soigner que ceux que l’on aime. Ou bien, en tous cas, on ne peut que finir par aimer qui l’on soigne. »

Et de découvrir que la guérison emprunte parfois des chemins inattendus. Face à l’esthéticienne qui doit lui vernir les ongles, Cécile découvre que « ce que j’estimais futile est pour elle un chemin d’excellence. Et pour moi, un nouveau chemin de guérison ». Comme elle l’écrit encore, « soigner l’enveloppe des choses et des êtres permet parfois de soigner l’intérieur, et il y a des moments où le superficiel est absolument nécessaire ».

« Soigner l’enveloppe des choses et des êtres permet parfois de soigner l’intérieur », témoigne Cécile Gandon

« La guérison advient aussi par les autres, avec les autres ». On peut avoir tout quand on n’a rien, affirme la jeune femme. « Si on est relié les uns aux autres, on a tout ».

De l’ombre à la lumière

S’il est beaucoup question de joie, Cécile ne tait pas les moments plus sombres. Néanmoins, sous sa plume, la lumière finit toujours par l’emporter, le jour de se lever. D’une expérience vécue à l’hôpital, elle comprend « que la nuit [est] un pays vivant ». Pas seulement le lieu de l’abandon ou du combat solitaire, mais un temps où Dieu continue de veiller discrètement. Aussi, pour Cécile, la joie de l’évangile, c’est espérer, ou plutôt croire que la vie continue, sans attendre la fin des épreuves.

Je ne peux rien contre l’injustice à laquelle me confronte mon handicap. Je refuse désormais d’en chercher la cause. Je préfère profiter des blessures qu'[il] creuse pour accueillir plus intensément la vie.

Cécile Gandon

« Je me questionne régulièrement sur cette attitude qui cherche à tout prix à prouver que les personnes handicapées sont comme les autres, voire mieux que les autres […] En fait, le handicap ne condamne pas à un rien […]. Je crois profondément qu’un manque cache toujours un plein ».

De son état de vie, Cécile tire une capacité à savourer le moment présent, une qualité de contemplation qu’autrement elle n’aurait probablement pas développées. « S’il est vrai que je vis la réalité autrement, il est vrai aussi que je la vis pleinement ».

« La valeur d’une vie réside dans sa capacité à accueillir l’autre »

« Si Dieu m’a voulue avec mon corps tel qu’il est, c’est qu’il est beau, aimable et qu’il peut dire pleinement quelque chose de l’ordre de l’Amour. Je n’ai pas à en vouloir un autre ».

Car, « dans une société qui fait de la place aux personnes fragiles, tout le monde se sent mieux ». Pour Cécile Gandon, la valeur d’une vie réside dans sa capacité non pas à réussir (avoir un boulot, un appart, un petit ami, …) mais à accueillir l’autre tel qu’il est et d’accepter tour à tour de lui venir en aide ou de dépendre de lui.

« Je réclame une vision plus nuancée de la fragilité, moins binaire, plus adaptable et adaptée. Je voudrais être moi-même tout simplement. Et que mon handicap ne me place ni forcément au ban des exclus, ni sur un piédestal ».

Sophie DELHALLE

(Article de CathoBel)

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